samedi 30 avril 2016

Géopolitique, Mémoire et représentations [Article]



Géopolitique, Mémoire et représentations :

Il m'est arrivé plusieurs fois au cours de mes recherches géopolitiques de m'exclamer en disant : "Ah, mais ils se souviennent largement de cela, alors que nous, nous l'avons largement oublié ou jamais su !". Si la géopolitique est l'étude des relations et des tensions entre acteurs, le tout expliqué par l'histoire et la géographie, alors on ne peut pas faire l'impasse sur les mentalités et les frustrations qui accompagnent ces altercations. Or, la Mémoire peut maintenir sur des décennies entières le souvenir d'événements douloureux, humiliants et traumatisants qui influent alors considérablement sur les positions diplomatiques d'un gouvernement et sur l'état d'esprit de sa population. Nous verrons d'abord le vieux cas de l'Alsace-Lorraine, puis des exemples beaucoup plus récents
               Historiquement, nous avons en France un bon exemple à travers la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871. Le souvenir de cette  véritable "amputation" fut  entretenu par les programmes scolaires et par une chanson célèbre "Vousurs exem n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine" de Gaston Villemer. Pourtant, l'annexion de l'Alsace date de Louis XIV et celle de la Lorraine de Louis XV, donc on ne pouvait pas dire que c'était de vieux territoires français en 1870, contrairement au bassin parisien. Ces deux espaces avaient longtemps fait partie du fameux Saint Empire Romain Germanique et culturellement, l'Alsace a  des liens avec la culture allemande. Du coup la politique française était d'une certaine manière discutable. Il n'empêche que cette Mémoire a conduit à l'essor de l'esprit Revanchard de la France républicaine et que ceci a eu une influence non-négligeable sur le déclenchement de la Première Guerre mondiale, soit plus de 40 ans après.                Plus proche de nous, j'ai été confronté à plusieples quasi-similaires sur divers continents. La géopolitique se doit d'étudier la vision du monde qu'ont les différents acteurs, ainsi que manière dont ils se représentent un territoire, un événement, .... Ces facteurs psychologiques ont parfois de sérieuses conséquences politiques. Ainsi en  Asie, il n'est plus à rappeler que pour de raisons internes et externes, les Chinois veulent à tous prix effacer le souvenir des fameux Traités Inégaux. Il s'agit d'une multitude d'accords que les européens et les japonais ont imposé à la Chine au XIXème pour l'ouvrir au libre-échange, pour la forcer à céder des concessions internationales, pour la soumettre au privilège d'extraterritorialité dans le domaine judiciaire, .... lui donnant du coup un statut de pays "semi-colonial". Pour les Chinois qui se voient comme étant l'Empire du Milieu, cette humiliation terrible est encore d'actualité et ils veulent véritablement retrouver leur honneur et leur prestige perdu, laver ces affronts. Dans le même sens, ils mentionnent souvent les cruels massacres de Nankin commis par les japonais contre cette ville chinoise en 1937 (environ 100 000 morts civils et plus de 50 000 viols de femmes).
Au Caucase, beaucoup de peuples, dont les tchéchènes, ont encore en tête les sanglantes guerres contre la Russie au XIXème siècles et leurs lots de massacres, que certains qualifient d'ailleurs de génocide. Par exemple, l'ancien leader et chef de guerre Bassaiev avait pris le nom de Chamil, qui correspond au nom d'un imam et d'un grand général qui résista longtemps aux russes entre 1834 et 1859.
En Afrique, le gouvernement algérien rappelle régulièrement les méfaits de la colonisation française en évoquant les massacres et les "enfumages" commis  le maréchal Bugeaud vers les années 1840.
Récemment Au Moyen-Orient, Daesh a bien médiatisé le fait qu'il ait littéralement effacer la frontière syro-irakienne, une ligne contestée et tracée par les français et les anglais lorsqu'ils dominaient le Moyen-Orient durant l'Entre-deux-guerres (accords Sykes-Picot de 1916). Une manière de rappeler qu'avant les américains, c'étaient les européens, qui dominaient ce sous-continent. Ainsi cet événement était là pour indiquer que de tout temps, les occidentaux ses sont comportés comme des impérialistes et des colonisateurs.
Donc, nous pouvons conclure qu'on peut étudier la géopolitique en suivant de près les alliances en cours, les traités signés, les guerres, les crises, l'évolution du tracé des frontières (approche défendue par Michel Foucher), ...  bref l'évolution des "dispositifs géopolitiques". Cependant, il est important de prendre en compte une sorte de "couche invisible des relations internationales" : la strate psychologique, à travers la Mémoire et les représentations. Je suis bien conscient que mon constat n'est pas novateur : Yves Lacoste, les chercheurs de la revue Hérodote et ceux de celle nommée Outre-Terre ont déjà indiqué tout cela. Néanmoins, l'importance de la Mémoire en Histoire est plus récente et le développement des études sur cette dernière se multiplient considérablement depuis les années 1990, d'où de nouveaux enjeux, de nouveaux concepts, de nouveaux écrits, ...

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