Géopolitique, Mémoire et représentations :
Il m'est arrivé plusieurs fois au cours de mes recherches
géopolitiques de m'exclamer en disant : "Ah, mais ils se souviennent largement
de cela, alors que nous, nous l'avons largement oublié ou jamais su !". Si
la géopolitique est l'étude des relations et des tensions entre acteurs, le
tout expliqué par l'histoire et la géographie, alors on ne peut pas faire l'impasse
sur les mentalités et les frustrations qui accompagnent ces altercations. Or,
la Mémoire peut maintenir sur des décennies entières le souvenir d'événements
douloureux, humiliants et traumatisants qui influent alors considérablement sur
les positions diplomatiques d'un gouvernement et sur l'état d'esprit de sa
population. Nous verrons d'abord le vieux cas de l'Alsace-Lorraine, puis des
exemples beaucoup plus récents
Historiquement,
nous avons en France un bon exemple à travers la perte de l'Alsace-Lorraine en
1871. Le souvenir de cette véritable
"amputation" fut entretenu par
les programmes scolaires et par une chanson célèbre "Vousurs exem n'aurez pas
l'Alsace et la Lorraine" de Gaston Villemer. Pourtant, l'annexion de
l'Alsace date de Louis XIV et celle de la Lorraine de Louis XV, donc on ne pouvait
pas dire que c'était de vieux territoires français en 1870, contrairement au
bassin parisien. Ces deux espaces avaient longtemps fait partie du fameux Saint
Empire Romain Germanique et culturellement, l'Alsace a des liens avec la culture allemande. Du coup
la politique française était d'une certaine manière discutable. Il n'empêche
que cette Mémoire a conduit à l'essor de l'esprit Revanchard de la France républicaine
et que ceci a eu une influence non-négligeable sur le déclenchement de la
Première Guerre mondiale, soit plus de 40 ans après. Plus
proche de nous, j'ai été confronté à plusieples quasi-similaires sur
divers continents. La géopolitique se doit d'étudier la vision du monde qu'ont
les différents acteurs, ainsi que manière dont ils se représentent un
territoire, un événement, .... Ces facteurs psychologiques ont parfois de sérieuses
conséquences politiques. Ainsi en Asie,
il n'est plus à rappeler que pour de raisons internes et externes, les Chinois
veulent à tous prix effacer le souvenir des fameux Traités Inégaux. Il s'agit
d'une multitude d'accords que les européens et les japonais ont imposé à la
Chine au XIXème pour l'ouvrir au libre-échange, pour la forcer à céder des
concessions internationales, pour la soumettre au privilège d'extraterritorialité
dans le domaine judiciaire, .... lui donnant du coup un statut de pays
"semi-colonial". Pour les Chinois qui se voient comme étant l'Empire
du Milieu, cette humiliation terrible est encore d'actualité et ils veulent véritablement
retrouver leur honneur et leur prestige perdu, laver ces affronts. Dans le même
sens, ils mentionnent souvent les cruels massacres de Nankin commis par les
japonais contre cette ville chinoise en 1937 (environ 100 000 morts civils et
plus de 50 000 viols de femmes).
Au Caucase, beaucoup de peuples, dont les tchéchènes, ont
encore en tête les sanglantes guerres contre la Russie au XIXème siècles et
leurs lots de massacres, que certains qualifient d'ailleurs de génocide. Par
exemple, l'ancien leader et chef de guerre Bassaiev avait pris le nom de Chamil,
qui correspond au nom d'un imam et d'un grand général qui résista longtemps aux
russes entre 1834 et 1859.
En Afrique, le gouvernement algérien rappelle régulièrement
les méfaits de la colonisation française en évoquant les massacres et les "enfumages"
commis le maréchal Bugeaud vers les
années 1840.
Récemment Au Moyen-Orient, Daesh a bien médiatisé le fait
qu'il ait littéralement effacer la frontière syro-irakienne, une ligne
contestée et tracée par les français et les anglais lorsqu'ils dominaient le
Moyen-Orient durant l'Entre-deux-guerres (accords Sykes-Picot de 1916). Une
manière de rappeler qu'avant les américains, c'étaient les européens, qui dominaient
ce sous-continent. Ainsi cet événement était là pour indiquer que de tout
temps, les occidentaux ses sont comportés comme des impérialistes et des
colonisateurs.
Donc, nous pouvons conclure qu'on peut étudier la
géopolitique en suivant de près les alliances en cours, les traités signés, les
guerres, les crises, l'évolution du tracé des frontières (approche défendue par
Michel Foucher), ... bref l'évolution
des "dispositifs géopolitiques". Cependant, il est important de
prendre en compte une sorte de "couche invisible des relations
internationales" : la strate psychologique, à travers la Mémoire et les
représentations. Je suis bien conscient que mon constat n'est pas novateur :
Yves Lacoste, les chercheurs de la revue Hérodote et ceux de celle nommée
Outre-Terre ont déjà indiqué tout cela. Néanmoins, l'importance de la Mémoire
en Histoire est plus récente et le développement des études sur cette dernière
se multiplient considérablement depuis les années 1990, d'où de nouveaux
enjeux, de nouveaux concepts, de nouveaux écrits, ...
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